La malnutrition infantile demeure un réel problème de santé publique en RDC. Dans sa forme sévère, elle touche environ 2 millions d’enfants de moins 5 ans et contribue à un peu plus 45% de décès de ces enfants. Par ailleurs, la malnutrition constitue une toile de fond sur laquelle se greffent plusieurs infections. La province du Sud-Kivu n’est pas épargnée par ce fléau. Elle figure parmi les provinces de la RDC les plus affectées par la malnutrition avec environ 48% d’enfants qui souffrent de la malnutrition. Paradoxalement, les estimations montrent qu’environ 70% des enfants malnutris en RDC n’ont pas accès au traitement. Cette situation compromet davantage les chances de survie de ces enfants.
Patrick : Docteur, quelles sont les causes de la malnutrition d’une manière générale?
Dr Kambale : De façon simple, la malnutrition est due à 2 grandes causes :
- La cause primaire, liée à une insuffisance d’apports en aliments et
- La cause secondaire, liée à une incapacité pour le corps de la personne à utiliser les aliments consommés
Patrick : Docteur, quels sont les facteurs qui expliquent la cause primaire c’est-à-dire l’insuffisance en apport alimentaire ?
Dr Kambale : l’insuffisance d’apport peut être liée à 3 facteurs :
- Insuffisance de production alimentaire : le sol pauvre, catastrophes naturelles (inondations, incendies, volcans), instabilités politiques entrainant les déplacements massifs des populations tel que nous le vivons dans nos zones déchirées par des guerres.
- Inaccessibilité géographique : vétusté des routes, rareté des moyens de transport terrestres, maritimes ou aériens pour relier les zones de production alimentaire et les zones de consommation
- Inaccessibilité financière : faible niveau socio-économique entraine l’incapacité des ménages à s’acheter les aliments.
Patrick : Docteur, à quoi faites-vous allusion quand vous évoquez les causes secondaires ?
Docteur Kambale : Dans le cas des facteurs secondaires, les aliments sont bel et bien disponibles, mais l’organisme de l’individu ne peut pas soit les absorber, soit les digérer, soit les assimiler, pour qu’ils lui soient bénéfique. Il y a plusieurs maladies qui occasionnent ces genres de situation.
Patrick : Docteur, quelles sont les conséquences de la malnutrition chez l’enfant ?
Docteur Kambale :
- A court terme, la malnutrition affaiblit les moyens de défense de l’individu et le rend vulnérable vis-à-vis des maladies. L’individu malnutri sera donc plus souvent malade qu’un individu sans malnutrition. Par ailleurs, la malnutrition peut entrainer la mort de l’enfant;
- Chez les survivants de la malnutrition, il y a :
- Risque de retard d’acquisitions psychomotrices (marche, langage, retard d’apprentissage, difficultés scolaires) ;
- Persistance de retard de croissance ;
- Risque de développer le surpoids, l’obésité et les maladies cardiovasculaires ;
- Cycle inter générationnel de la malnutrition : des jeunes filles qui souffrent de la malnutrition peuvent maintenir ce trouble de croissance à l’adolescence et seront plus susceptibles d’avoir des bébés de petite taille ; qui, à leur tour, s’il s’agit de filles, poursuivront le cycle.
Patrick : Docteur, quels sont les défis liés à la prise en charge des enfants malnutris à l’HPGRB ?
Docteur Kambale : La prise en charge des enfants malnutris à l’HPGRB se heurte à plusieurs contraintes. La première c’est le tri des enfants malnutris. Etant au niveau tertiaire sur la pyramide sanitaire au Sud-Kivu, normalement à l’HPGRB nous ne devrions que nous occuper des enfants malnutris sévères avec complications. Les autres cas de malnutrition sévère sans complications, ou les cas de malnutrition modérée sont censés être pris en charge dans les structures nutritionnelles périphériques. Malheureusement la plupart de ces structures sont inexistantes, et celles qui existent sont dépourvues d’intrants. Il nous arrive donc de prendre en charge toutes ces formes de malnutrition, malgré notre capacité d’accueil limité, l’absence d’intrants nutritionnels et l’absence d’appui extérieur. Ceci fait que nous enregistrons beaucoup d’admissions (en moyenne 60 admissions d’enfants malnutris par mois).
Patrick : Et quelle est la capacité d’accueil du Centre Nutritionnel et Thérapeutique
Dr Kambale : Nous disposons de 5 lits en Unité de Soins Intensifs, 15 lits en Unité de Transition, 35 lits et Unité de Réhabilitation Nutritionnelle et 5 lits en Unité d’Isolement.
Patrick : Existe-t-il d’autres contraintes ?
Dr Kambale : Oui ; il s’agit du manque d’intrants nutritionnels et thérapeutiques. Actuellement les programmes de prise en charge de la malnutrition tant au niveau hospitalier qu’au niveau communautaire sont coûteux. Ils sont donc sous-financés. Cela fait que seulement 30% d’enfants malnutris en RDC ont accès aux soins. Pour donner la chance de survie à ces enfants, l’HPGRB dispense presque gratuitement les soins à ces enfants, ce qui constitue quand même un manque à gagner important pour l’hôpital.
Par ailleurs, l’HPGB est aussi confronté au manque d’intrants nutritionnels. Pour pallier le manque des laits et des aliments thérapeutiques, nous utilisons des alternatives nutritionnelles constituées de lait entier, et des préparations à base de la bouillie de maïs-sorgho-soja enrichie avec l’huile végétale et le sucre.
Patrick : Et quels résultats obtenez-vous en recourant à ces alternatives nutritionnelles ?
Dr Kambale : Le taux de mortalité varie entre 7 et 9% et le taux de récupération nutritionnelle entre 75 et 80%. Ce sont des indicateurs acceptables selon les normes de l’OMS qui fixent le seuil de moins de 10% pour le taux de mortalité et plus de 75% pour la récupération nutritionnelle.
Patrick : Docteur, avez-vous une idée du devenir de ces enfants après l’hospitalisation au Centre Nutritionnel et Thérapeutique ?
Dr Kambale : Oui. La gestion à domicile des enfants sortis guéris de notre centre nutritionnel pose d’énormes problèmes. Les estimations montrent que plus de 90% des ménages où sont issus ces enfants vivent sous le seuil de pauvreté. A la sortie, ces enfants retournent donc leurs domiciles dans les mêmes conditions socioéconomiques précaires. Une étude pilote que nous avons menée pour évaluer la survie de ces enfants après hospitalisation a montré qu’environ 30% de ces enfants rechutent dans les 6 mois suivant l’hospitalisation et 4% décèdent à domicile.
Patrick : Docteur, quelles sont les pistes de solution pour améliorer la prise en charge des enfants malnutris ?
Dr Kambale : la prise en charge de la malnutrition implique plusieurs acteurs : les politiciens, les économistes, les agronomes, les médecins, les nutritionnistes, les psychologues, etc. Pour améliorer la prise en charge de ces enfants vulnérables à l’HPGRB, nous sollicitons l’appui des organismes tant nationaux qu’internationaux pour couvrir les soins administrés à ces patients. Par ailleurs, l’amélioration des conditions socioéconomiques, la pacification des régions en conflits armés, l’amélioration de la politique agricole et la modernisation des infrastructures sont autant d’autres facteurs pouvant contribuer à endiguer ce fléau qu’est la malnutrition infantile.
Patrick : Docteur Kambale, je vous remercie
Dr Kambale : Je te remercie aussi Patrick